Joseph Quesnel à Coutances

COUTANCES

Trois diablotins à Coutances,
par Emmanuelle Amsellem
(extrait)

Ville ecclésiastique à l’ombre de sa cathédrale, Coutances est aussi ville du livre depuis le Moyen Âge. Dans les recoins de cette fructueuse histoire, il est un groupe d’hommes, le trio du Pou Qui Grimpe, qui sortit de sa torpeur la ville devenue si sage au début du xxe siècle. Laissez-vous conter cette drôle d’histoire, fierté des Coutançais…

Lors de la Première Guerre mondiale, Coutances est transformée en vaste hôpital militaire. Les nombreux blessés s’y ennuient et la ville fait appel à toutes les bonnes volontés pour les divertir. Trois hommes talentueux et complémentaires sortent de l’ombre : René Jouenne (1897-1923), Joseph Quesnel (1897-1931), et Jean Thézeloup (1885-1968). Ils fondent le Pou qui grimpe, et organisent fêtes de bienfaisance, galas de charité et expositions. Quesnel, autodidacte, se révèle très vite doué pour la littérature et le dessin, au point d’être remarqué par le Montmartrois Adolphe Willette, en villégiature dans la région. Jouenne s’adonne brillamment à la caricature et au journalisme, tandis que Thézeloup s’exprime par la peinture et la gravure sur bois.

Dès le commencement de leur association, ils ont l’ambition de remettre à l’honneur l’histoire, la culture et les traditions locales au moyen d’un art nouveau et populaire et de favoriser l’accès à la culture pour le plus grand nombre. Prise de position franche, du côté de l’art populaire (imagerie, petite édition) contre les Beaux-Arts, de la province créative contre Paris, en s’ouvrant à la modernité tout en valorisant leurs racines. Le ton est donné dans l’avertissement à « l’Ami lecteur » du premier numéro de l’Almanach de la destinée la rose au bois : « Nous parlons le même langage enrichi d’un patois que les académies et leurs employés n’arriveront jamais à tuer. Nous avons les mêmes coutumes, nous vénérons le même art, art si simple et si grand qui fit chanter le coq sur tes soupières et tes assiettes, qui posa des corbeilles de fleurs et de fruits sur les panneaux de tes armoires, qui enjoliva le cadran de tes horloges. »

La ville de Coutances est la source d’inspiration essentielle de leurs créations. Il n’est qu’à parcourir le Livre du Pou, leur chef-d’œuvre, pour le comprendre. Page après page, c’est la ville, ses habitants, les objets du quotidien qui se croisent et révèlent l’infinie tendresse des trois auteurs pour leur « pays ». À y regarder de près, on y retrouve les influences de la presse satirique parisienne, sous la plume de Jouenne, des affichistes de l’Art nouveau sous les enluminures de Thézeloup et de Montmartre avec les dessins de Quesnel (un chat noir se glisse fréquemment dans les pages, clin d’œil au célèbre cabaret parisien ?) Commencé en 1916, inachevé, ce merveilleux manuscrit est conservé à la médiathèque de la communauté de communes de Coutances.

Pendant huit ans, de 1915 à 1923, le trio malicieux animera Coutances, attirant de plus en plus d’artistes locaux et parisiens. Aucune volonté de scandale chez ces trois trublions, ils n’aspirent qu’à réveiller joyeusement la ville endormie !

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.

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