Baudelaire à Honfleur

Honfleur

Baudelaire à Honfleur : la « maison-joujou »
par Pierre Brunel
(extrait)

Quiconque a un peu étudié Les Fleurs du Mal sait que le long poème nouveau sur lequel s’achève la nouvelle édition de 1861, l’édition désormais autorisée, a été composé à Honfleur. Curieusement, Charles Baudelaire a écrit « Le Voyage » dans une sorte de retraite où il menait une vie sédentaire. Contraint jadis par son beau-père et par son frère à un immense périple qui l’a détourné à jamais d’une semblable aventure, il déclare « amer » le « savoir […] qu’on tire du voyage ». Le monde entier, à ses yeux, se réduit désormais à presque rien :

« Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ».

Par un mouvement inverse, il suffit de presque rien, de deux pièces mansardées, une chambre, un salon, que lui a réservés sa mère dans la maison de Honfleur, au deuxième étage, pour qu’il découvre, au-delà du port, « l’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares ». Alors, « les formes élancées des navires, au gréement compliqué », balancées par la houle, « servent à entretenir dans l’âme le goût du rythme et de la beauté ». Encore, comme l’a fait observer Claude Pichois dans son indispensable édition des Œuvres complètes, le poète vivait-il plus sur des souvenirs que sur des impressions directes quand il a écrit ces phrases élégantes d’un des poèmes en prose du Spleen de Paris, « Le Port », indiscutablement plus tardif.

Honfleur, notait Victor Hugo en 1836, est « un port ravissant plein de mâts, et de voiles, couronné de collines vertes, entouré de maisons étroites ». Le lieu évoque donc à la fois ce que Paul Claudel, dans l’une de ses Cinq grandes Odes, appellera « la dilatation de la houle », et par contraste l’étroitesse des logis qui sont soumis à ses assauts. Le nom donné par Baudelaire à la maison familiale de Honfleur, « la maison-joujou », fixe un point d’ironie dans le paysage de marine.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Calvados, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2004

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