Jean Cocteau à Milly-la-Forêt

MILLY-LA-FORÊT

Une solitude bien partagée : Jean Cocteau à Milly
par Pierre CAIZERGUES
(extrait)

C’est pendant l’hiver 1947 que Jean Cocteau achète, à Milly-la-Forêt, en indivis avec Jean Marais, la maison du Bailli dont il devient l’unique propriétaire en 1952, après avoir racheté la part de son ami. Dans l’appartement de la rue Montpensier où il s’était installé vers la fin de la guerre, le poète ne pouvait plus travailler, « trop de coups de téléphone, de sonnette, trop de visites pour moi et pour lui », explique Jean Marais

dans son livre de souvenirs, Histoires de ma vie (Albin Michel, 1975). C’est par l’intermédiaire des Vilmorin qu’ils découvrent tous deux cette demeure qui les charme aussitôt : « Son style, son porche, ses tours modestes, son allure de presbytère, ses douves, son jardin de curé, le bois et la forêt de Fontainebleau à deux pas », écrit encore Jean Marais. Située au bout de la rue du Lau, encore dans le village et déjà dans la campagne, la maison devient un havre de paix pour Jean Cocteau qui s’y installe en novembre 1947 mais n’y vient guère d’abord que le dimanche ou pour de brefs séjours. Dans ses dernières années et surtout à partir du moment où Édouard Dermit entre dans sa vie, il y séjourne plus longuement et y passe ses derniers mois, du 5 juillet au 10 octobre 1963, date de sa mort.

Avec sa basse-cour, son jardin potager, ses arbres fruitiers, sa cave et son grenier mystérieux, cette maison ressemble un peu pour Cocteau au paradis de l’enfance retrouvé. Ses séjours à Milly sont placés sous le signe de la quiétude et du travail. Moins à l’étroit que dans l’entresol de la maison du Palais-Royal, le poète écrit et dessine. Bien des pages de son testament poétique, Le Requiem, et bien d’autres poèmes ont été écrits là, et l’on sait que la table d’architecte de l’antichambre était son support favori pour réaliser les innombrables dessins qui deviennent vers la fin son mode d’écriture favori, le poète se montrant fidèle en cela au conseil de Goethe qu’il a inscrit dans son journal : « Nous devons dessiner davantage et moins écrire. »

Jean Cocteau ne s’enferme pas pour autant dans sa tour d’ivoire et il accueille volontiers dans sa maison de campagne Marcel et Élise Jouhandeau, Aragon et Elsa, Jean Genet et bien d’autres de ceux qu’il tient pour ses vrais amis. André Gide lui rend visite en février 1949. Roger Stéphane vient enregistrer l’entretien télévisé qui sera ensuite publié sous le titre de Portrait-souvenir, après la disparition du poète.

Si le poète sort assez peu dans le village, quelques-uns parmi les plus anciens Milliacois se souviennent cependant encore de lui, de sa gentillesse, de sa simplicité, de sa façon de mettre tout le monde à l’aise. Fait citoyen d’honneur de Milly-la-Forêt le 17 mars 1955, le poète répond favorablement, avec sa générosité légendaire, à l’invitation du maire qui lui propose de décorer les murs de la petite chapelle abandonnée de Saint-Blaise. Les premiers échafaudages sont installés au printemps 1959, la chapelle est inaugurée le 23 avril 1960 et le poète dit avoir achevé en cinq jours le travail de cinq mois. C’est dire que de nombreuses esquisses ont précédé les peintures définitives qui ornent la chapelle où Jean Cocteau repose désormais, invisible et présent à la fois à travers le dessin de ces personnages ou de ces plantes que l’on voit grimper le long des murs jusqu’au plafond. On y trouve l’arnica, souveraine contre les mauvais coups — et Dieu sait que notre poète en a reçus ! —, la renoncule, le colchique cher à son ami Guillaume Apollinaire, les menthes qui ont fait la réputation de Milly et qui forment un beau cadre à la porte, et encore la jusquiame, la belladone, la digitale, la valériane et la guimauve propres à assurer un bon sommeil à l’artiste et à rasséréner l’âme des visiteurs. Ceux-ci viennent nombreux admirer l’écriture en forme de dessin du poète, fidèle à sa ligne, et se recueillir sur la tombe de celui qui dort son dernier sommeil dans la petite chapelle.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Essonne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2010

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