Jean Bodel à Arras

ARRAS

Jean Bodel, trouvère d’Arras
par Sylvie Nève
(extrait)

 

Au tout début du XIIIème siècle, le trouvère Jean Bodel, célèbre pour son Jeu de St Nicolas (premier miracle en langue vulgaire, première comédie satirique en ancien picard),  est exclus d’Arras ; déclaré lépreux à l’issue de l’esward, il doit préparer son départ, sa mise ‘hors la ville’, quitter ses amis, ses mécènes, renoncer à  son métier de poète, et rejoindre la léproserie de Méaulens, proche d’Arras. Il compose alors ses Congiés, long poème lyrique de 45 strophes, où il adresse ses adieux à chacun tour à tour, ses regrets, ses plaintes,  évoque les souvenirs de la vie heureuse, et réclame aux échevins ‘ l’argent de sa lèpre’, une dotation suffisante pour payer son entrée dans une maladrerie bourgeoise : le Grand Val ou Méaulens, mais pas le Petit Val, la maladrerie des pauvres…

Ils savent tous. Nulle échappatoire, ils savent. Et s’il en restait quelques uns qui ne le savent pas encore, ils le sauront avant demain. Les nuits, même, ne me seront plus d’aucune utilité. Je n’ai plus aucun refuge. Je ne peux plus ruser. Mon odeur et mon aspect vont être l’objet du débat. Mais il serait bien étonnant qu’il y eût débat… Mon triste état est plus clair que l’eau de la Scarpe. Et mon sang plus sombre que l’encre des copistes de St Vaast…

Voilà Joffroi qui s’apprête – il me regarde, il est sombre lui aussi, il va me saigner une dernière fois.

Je sais déjà que mon sang est noir et cendreux, et que le sel y fond rapidement, que le caillot lavé est granuleux et grumeleux… Il y a longtemps que je le sais.

J’ai rencontré Joffroi à l’hôpital St Jean, il y a huit ans. Les sœurs m’avaient assuré de ses connaissances et de son savoir faire ; et ce jeune médecin ne manquait jamais de témoigner, pour les sœurs et les converses, et l’humilité de leur labeur, d’un profond respect.

Il y a huit ans, j’étais ce trouvère bien connu de tous,  membre apprécié de la confrérie de la Carité, que le maïeur, ce matin-là, attendait chez lui pour rejoindre ensuite les préparatifs du « grand siège » de la Trinité – notre plus fameux banquet de l’année. Ne me voyant pas arriver, Raoul Ravuin et Bérart vinrent jusque chez moi, où ils me découvrirent gisant, à demi inconscient  et fiévreux – mon cher maïeur, mon cher confrère, vous m’avez bien secouru ! Mais je ne souffrais pas du mal des Ardents – un autre mal commençait de marquer mon corps…

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Pas-de-Calais, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2006

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