Duneton Limousin écrivains

Écrivains maquisards ?

Claude Duneton
(extrait)

 

 

Un mystère demeure quant à notre Limousin. Pourquoi y a-t-il eu soudain une telle floraison d’écrivains, particulièrement en Corrèze, dans la seconde moitié du xxe siècle ? D’où est sorti ce jet de plumes après des siècles de silence, ponctués seulement de quelques noms, quelques œuvres éparses depuis le très ancien mais célébrissime Bélisaire de Marmontel ? Tout à coup, Robert Margerit disparu, Michel Peyramaure émerge des hauts fonds de Brive, le plus ancien, et le plus généreux du groupe. Avec, après lui, une kyrielle d’écrivains, dont moi-même, dont certains ont occupé les tables de grandes ventes des librairies, et ce n’est pas fini ! Il s’en rajoute presque chaque année… Il ne suffit pas de dire que nous sommes la première génération de vrais francophones dans ce Limousin occitan ; les autres régions de France ont connu la même transformation nationale due au même tournant de l’histoire.

Serait-ce la notion de marginalité qu’il faut interroger – ou plutôt de marchinalité ? Nous sommes un pays de bordure, de transition, géographiquement et aussi culturellement. J’ai écrit quelque part que le Limousin était la Scandinavie de la latinité, la frange la plus nordique où va s’épuiser la langue occitane, fruit du parler latin. Derrière la boutade il y a peut-être un brin de vérité… La province a longtemps servi de frontière entre l’Aquitaine du roi d’Angleterre et le royaume de France — doit-on dire de « zone tampon » ou de no man’s land ? Nous sommes au bord de l’Auvergne, au bord du Berry, dans un entre-deux boisé, parcimonieusement peuplé, avec toujours un temps de décalage depuis l’époque préhistorique ; les gens de menhirs, de pierres levées, peira levada, ont duré, perduré sans beaucoup de brassage, sans invasions majeures et peuplantes. Peut-être sommes-nous réellement des marginaux, et cela marque notre comportement : l’ambition, la trempe du caractère ? Cela ne date pas d’hier : après tout, qu’est-ce qui faisait désigner à Rabelais son jeune étourdi pédant, se poussant du col, comme un « eschollier lymousin » ? Et pas un Normand, un Auvergnat, un Basque, un Savoyard, que sais-je ?… À qui faisait-il allusion au juste ? À un quidam sorti des bois d’un pays pauvre ? Sans doute. Des bois bien peuplés par des loups.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Limousin, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2009

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