Pierrette Fleutiaux à Guéret

GUERET

Pierrette Fleutiaux, la dame des profondeurs,
par Colette Corneille
(extrait)

Venir de la Creuse, c’est venir de loin, de là-bas : on dit, pour se moquer, « le fin fond de la Creuse », comme si la Creuse – mais son nom nous y entraîne – avait un fond, une profondeur. Là-bas, c’est au milieu de la France, mais on ne le dit pas. On dit : « C’est dans la France profonde. » Dessous, en bas, dans le creux : dans quel abîme vit-on en Creuse ?

Pierrette Fleutiaux émerge de cet abîme. Son œuvre entière est imprégnée des voyages métaphoriques dont elle décrit les allées et venues entre la surface – « Le jour de la surface est d’une incroyable brutalité » – et la chute, en bas, vers le fond – «  Je voudrais la surface, bien sûr, c’est l’objet de cette longue affaire, mais je ne veux pas lâcher le fond. Je veux la surface et le fond ensemble » (Sauvée, Gallimard). Vertigineusement attirée par l’alternance entre la cohérence apparente des règles, de l’ordre, dans la vie du dessus et le foisonnement fou du monde souterrain, elle découvre et nous révèle, dans ses plongées fulgurantes, le domaine d’un inconscient qu’elle ne nomme jamais. Ouverture vers un autre univers, celui qu’on lui a caché, interdit, mais qui pèse sur elle, agrippé comme la bestiole de son Histoire de la chauve-souris.

Elle ne cesse de nous étonner, cette prolifique romancière, qui, volant d’un continent à l’autre, d’un éditeur à un autre, écrit aussi pour les enfants. Née en 1941 en Creuse, elle quitte Guéret afin de poursuivre ses études : Limoges, Poitiers, Bordeaux, Londres, et enfin Paris où elle obtient l’agrégation d’anglais. La voilà émigrée, dans la tradition des maçons creusois. Elle passe quelques années à New York, et, quand « ça se met à chanter dans sa tête », comme elle dit, elle commence à écrire, dès 1975. C’est Anne Philipe qui la lance aux éditions Julliard. Elles deviendront amies. Les prix se succèdent : elle est entrée dans la « cour des grands » : prix Marie-Claire Femmes avec Histoire du tableau (Julliard, 1977), Goncourt de la nouvelle avec Métamorphose de la reine (Gallimard, 1985), prix Femina avec Nous sommes éternels (Gallimard, 1990). Elle est sous le regard et les analyses des plus grands : Gilles Deleuze (Limousin d’adoption) dans Mille Plateaux (Éd. de Minuit, 1980), José Luis Atienza échange avec elle une fructueuse correspondance, Julio Cortázar préface Histoire de la chauve-souris (Julliard, 1975).

[…]

Extrait de l’ouvrage : Balade en Limousin, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2009

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