Les grands patoisants Brûle-Maison, Desrousseaux et Simons à Lille

LILLE

Le trio des grands patoisants lillois : Brûle-Maison, Desrousseaux et Simons
par Jacques LANDRECIES
(extrait)

Le premier véritable auteur en dialecte picard est lillois : il s’appelait François Decottignies et avait pris le pseudonyme de Brûle-Maison. Ce diable d’homme a mené son existence trépidante au tournant des xviie et xviiie siècles (1678-1740). Il était marchand grossier en mercerie sur la Petite Place de Lille (entendez qu’il vendait des « grosses », ou ensemble de douze douzaines) et complétait ce commerce sédentaire par un colportage intensif à travers toutes les Flandres et l’Artois. Les colporteurs, on le sait, véhiculaient aussi de la littérature : almanachs, livres de prière, Bibliothèque bleue, chansons… Brûle-Maison était chansonnier et chanteur professionnel : il composait des œuvrettes inspirées du fonds populaire ou de l’actualité et les interprétait en public. Il eut le premier l’idée d’utiliser, en place de son français régional, le picard. La littérature d’auteur en patois picard était née.

Il s’agit d’une production modeste aussi bien dans son allure (de simples feuilles volantes) que dans son contenu : complaintes, coq-à-l’âne, pasquilles, satires diverses, pièces de circonstances… Le plus souvent, ces textes écrits avec quelque gaucherie dans un picard francisé (ou l’inverse), n’engendrent pas la mélancolie. Brûle-Maison est un gaillard athlétique, marcheur intrépide (il a effectué les pèlerinages de Lorette et Compostelle), braillard, imbu de lui-même, provocateur, farceur : il aime à rire et à se moquer. Une bonne partie de son succès vient de ce qu’il a pris les Tourquennois pour têtes de Turcs : ces paysans sont aisément repérables dans la foule lilloise à leur longue brouette qui leur sert à transporter en ville les étoffes tissées à domicile.

« V’là unne histoire sans pareille
Arrivé dedens Tourcoing ;
La chose est vraie et réelle,
Sur che sujet je n’vous ment point,
Dessus che point,
Et, chose certaine,
Ch’ tour-là comm’ vous l’entendré,
Est arrivé. »

[Chanson d’un Tourquennois qui a mis sen cat sur la gène pour li faire avouer si avoit pris une pièce de chair (…qui avait mis son chat à la torture pour lui faire avouer s’il avait pris un morceau de viande).]

Mais ces Béotiens travaillent dur et bien et la délocalisation se fait à leur profit. Les railleries de Brûle-Maison sont donc perçues comme une revanche symbolique…
Et lorsque le chansonnier disparaît, vers la fin du terrible hiver 1740, c’est tout le peuple lillois qui est en émoi.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage :Balade dans le Nord, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, février 2005

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