Louis Émié à Bordeaux

BORDEAUX

L’étranger de Bordeaux, Louis Émié,
par Jacques Boutinet
(extrait)

« Sa vérité profonde était ailleurs », dans Les Champs magnétiques d’André Breton, peut-être ? On ne sait jamais avec les poètes. Ils sont d’origine extraterrestre ou pour le moins légèrement atypiques. Regardez Louis Émié. Pour l’état civil, il naît bordelais sous le signe du Bélier en cette prometteuse année 1900. Démarrer de plain-pied avec son siècle, c’est déjà tout un symbole en soi.

En ces temps dits bénis d’avant-guerre(s) la campagne était omniprésente et entourait largement l’agglomération. On ne connaissait pas les rocades engorgées. Le parfum suave des gaz d’échappement ne s’épanouissait pas joyeusement aux heures de pointe. L’ouvrier trimait comme une véritable bête de somme en rêvant d’un monde plus juste encore inaccessible. Le fonctionnaire ou l’artisan gardaient un œil fixé sur « la ligne bleue des Vosges » et l’Alsace-Lorraine captive, tandis que l’autre œil louchait vers un petit pavillon au milieu d’un jardin privatif. Bordeaux ressemblait encore à un grand port ouvert sur le monde mais abritait une ville refermée sur elle-même.

Louis appartenait à la caste des banlieusards aisés, ceux qui vivaient en lisière, dans la ceinture verte. Celle-ci tournait le dos au fleuve et à la cité pour aller se perdre dans la lande toute proche.

Était-ce le vent chantant dans les pins des mélodies semblables à la musique de son ami Henri Sauguet ou le sang espagnol hérité de sa mère qui battait dans ses veines ? Étaient-ce les lettres de Max Jacob et de beaucoup d’autres Parisiens illustres qui éclairaient son quotidien de poète timide ? Ou était-ce l’étrange alchimie de Tolède qui permit à Louis Émié d’être celui « qui s’étire et se détache de lui-même » ?

Un peu de tout cela, sans doute.

Il vivait sur deux rives à la fois, au bord de deux fleuves intimement mêlés dans sa vie et dans son inspiration. La Garonne pour son estuaire tranquille que secoue parfois le mascaret, ses boues richement dorées dans le couchant, sa douceur de vivre toute patricienne d’une part. Et « ce ravin profond que l’on appelle le Tage » tout de déchirement, d’angoisse, de sombres passions en rouge et noir, pour l’autre part.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Gironde, sur les pas des écrivains, Alexandrines, mars 2008.

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