Médan Zola

MÉDAN

Parties de campagne chez les Zola
par Evelyne BLOCH-DANO
(extrait)

 

 

Dimanche 1er octobre. L’été indien fait vibrer les couleurs, les tilleuls de la promenade sont encore verts. Les habitués ont pris leur parapluie — on ne sait jamais —, les chaises sont alignées dans la cour gravillonnée, face à l’entrée latérale de la maison. On se reconnaît entre fidèles, on s’embrasse, on prend des nouvelles. Il y a aussi la foule des visiteurs anonymes, amenés pour la première fois par curiosité, par amour pour l’écrivain, ou simple voisinage. La séance ne commence pas encore : on attend le train de Paris, venu spécialement de Saint-Lazare, et qui chaque année, s’arrête au pied de la maison. Le train de La Bête humaine déposera ses voyageurs comme un coursier docile, et les reprendra à la fin de l’après-midi. Ils arrivent enfin, un peu essoufflés d’avoir grimpé la côte, s’installent. On peut commencer.

Il en va ainsi depuis 1903, chaque premier dimanche d’octobre. Ainsi l’a voulu Alexandrine Zola, à la mort de son mari, le dimanche 28 septembre 1902. Tous les ans, le pèlerinage de Médan nous rappelle ainsi que les grands écrivains ne meurent pas et qu’ils donnent un semblant d’éternité à ce qui les toucha un jour.

Éternité durement gagnée, pour ce lutteur ! Et comme il fut attaché à cette maison ! Tout prédispose le Parisien qu’est devenu Émile Zola, après une enfance sous le soleil d’Aix-en-Provence, à s’établir dans ce coin de campagne de Seine-et-Oise. Il faut dire que la fortune lui a enfin souri, avec le succès et le scandale de L’Assommoir. Sa carrière prend un nouveau tour. Il loue avec sa femme Alexandrine un appartement plus grand, rue de Boulogne, près de la place Clichy. Depuis longtemps, sa mère, qui partage la vie du couple, souhaite une maison à la campagne. Émile Zola aime jardiner, et quand il habitait encore les Batignolles, ses amis l’ont souvent vu, la bêche à la main, en pantalon de gros velours. Sa mère et son épouse ont même élevé quelques poules et des lapins, pour améliorer leur ordinaire. Le rêve de Médan commence donc ainsi, de la façon la plus modeste : avoir une petite maison à la campagne, se mettre au vert. L’endroit idéal devra être proche de Paris, tranquille, rustique. L’ami Guillemet, peintre paysagiste de son état, lui recommande la région de Triel. Mais Zola est déçu, il n’aime pas. Il prend une voiture, et avec Alexandrine, il explore le coin en suivant la Seine. Vingt ans plus tard, il racontera : « C’était gentil, bien campagne, et justement, un écriteau sur une maison de paysan, A vendre. Une vieille femme nous montre, oh ! tout petit, trois fenêtres et un bout de jardin fait avec des remblais touchant une ancienne carrière ; nous avions l’intention de louer seulement, elle refusa, alors on marchanda ; elle demandait 10 000, je l’eus pour 9. » Bref, une «cabane à lapins», comme il s’empresse de l’écrire à son maître Gustave Flaubert, de peur peut-être d’être pris pour ce qu’il n’est pas (encore), un «bôrgeois», comme dirait ce dernier. Et il ajoute : « La littérature a payé ce modeste asile champêtre, qui a le mérite d’être loin de toute station et de ne pas compter un seul bourgeois dans le voisinage. » En quelques mots, il a dit l’essentiel : Médan sera son refuge, et c’est grâce à son travail ’écrivain, aux heures de travail acharné, que la maison se mettra à vivre, et à se développer. Elle sera le cadre, le témoin

et le reflet de son oeuvre et de sa carrière. Il ne doit Médan qu’à lui-même, à son labeur quotidien. Il peut en être fier. Il en est fier.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Yvelines, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2011.

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