Théophile Malicet à Nouzonville

NOUZONVILLE

Malicet : des mots sur l’enclume
par Jacques THÉRET
(extrait)

Été 1959. Dans le silence des congés payés, Nouzon bat la campagne, fredonne Le Temps des cerises, flâne au jardin, court les bois de la Goutelle, rêve sur les berges de la Meuse…

Le coucou chante au bois ! Il va neiger des roses
Et dans l’infini clair aux pâleurs de pastels,
Amour sème à l’envi, de tendres doigts roses
L’essaim flou des désirs mystiques et charnels…

Malicet, enfermé dans sa maison, tout en haut de la rue Pasteur, Devant-Nouzon, est à ses devoirs de vacances. Il a toujours écrit sur des cahiers d’écolier, avec l’application de l’élève docile qu’il fut trop peu longtemps, avec la soumission aux règles enseignée par un vieux maître vénéré : la manie du mot juste, de l’image léchée, du rythme de la phrase, de l’économie des moyens. Une écriture ajustée au pied à coulisse ! Des précisions de cloutier à l’enclume ! Des sûretés de tourneur ! Des réglages d’ajusteur à l’établi !… Une œuvre forgée au cubilot d’une inspiration longtemps retenue pour cause de travail à l’usine, au jardin, aux coupes de bois sur les hauteurs de Meillier. Un bouquin d’ouvrier qui emprunte son titre à l’Internationale, cette Marseillaise des miséreux et des opprimés : Debout, Frères de misère !…

« L’équipe étire et plie de grands verrous dans un rond de 40. Ils sont trois : mon père au vent, et deux frappeurs. Une barre chauffe tandis qu’une autre s’effile sur la bigorne, se plie à l’équerre sur un trou, épouse à coup de châsse la pente solidement calée dans la bombarde et finit par ressembler à ses sœurs déjà rangées à terre et à la pièce dessinée en blanc dans le grand papier bleu posé à plat sur l’établi. Les marteaux dansent : popo-tam, popo-tam ! à droite, à gauche !… »

Par ce mois d’août, Nouzon n’en revient pas de ce silence sur ses toits gris, mauves, bleus, de cette trêve suspendue sur le chambard quotidien, le vacarme de ses boutiques, le barouf de ses pilons, le tapage de ses martinets, le boucan de ses ateliers, le raffut de ses usines… La Ronflette, la Cachette, la Forge, le Macau, l’Espérance, la Haillette, les Trois obus, le Hochet… formidable Creusot ardennais sur les pentes d’une Vallée habitée de noires ferronneries, de puantes fonderies, d’ateliers d’estampages, de forges enfiévrées !

Le four est blanc ; il est à sa température
Il feule aveugle, beugle et meugle aux deux gueulards
C’est l’enfer ! Des damnés, ferraillant sur mesure,
Font voltiger le bloom
happé par les ringards

Malicet en termine avec son passé, son parcours, ses histoires de famille. Il règle ses comptes, solde ses haines, ses amours, ses rancœurs, ses espérances, ses peines, ses joies… Un témoignage vigoureux, authentique d’une vie en bleu de chauffe, d’un parcours sans dérogation.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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