Barbey d’Aurevilly à Saint-Sauveur-le-Vicomte

SAINT-SAUVEUR-LE-VICOMTE, VALOGNES

Le Cotentin intérieur de Jules Barbey d’Aurevilly,
par David Cocksey
(extrait)

« Le terroir se retrouve toujours, et selon une frappante réflexion de notre vieux maître Walter Scott, principalement chez les natures très distinguées ». Ainsi parle Barbey d’Aurevilly en 1851 ; après plus de dix ans passés dans le tourbillon du dandysme parisien, il est en train de renouer avec ses racines. Celui qu’on surnommait Brummell II songe désormais à devenir « le Walter Scott de la Normandie ».

Ce contraste est caractéristique du personnage complexe que fut Barbey. Connétable des Lettres, Éreinteur du « galimatias » d’un Hugo ou de la « fange » d’un Zola, il était pour ses intimes « Lord Anxious », un homme généreux en amitié et souvent malheureux en amour. En outre, cet élégant théoricien du dandysme n’hésitait pas à troquer ses bottes vernies contre des sabots pour fouler les sentiers de son Cotentin natal, où il puisa l’inspiration pour ses plus grandes œuvres. En renouant avec ce terroir si riche en légendes, le romancier trouve définitivement sa voix pour conter des récits dont le surnaturel lance un défi au matérialisme de son époque.

On sait la place que la Basse Normandie tient dans l’œuvre de Barbey ; en effet, de ses dix-sept romans et nouvelles, seulement trois situent leur action ailleurs. Ces récits sont redevables à plusieurs égards à la région, et à la Manche plus particulièrement : nombre de personnages empruntent leur patronyme à la toponymie locale, tout comme les récits se parsèment de références passagères à ces lieux lorsque ceux-ci ne constituent pas le cadre même de l’intrigue. Comme le constate Jacques Petit, ce « “normandisme” […] marque surtout son retour aux premières impressions, à l’enfance, à l’adolescence dont les rêves vont nourrir l’œuvre romanesque ».

Si la Normandie est une constante de l’œuvre aurevillienne, de Germaine, rédigée en 1835, à Une Page d’Histoire (1884), on constate une certaine évolution dans le rapport de Barbey avec sa terre natale. En 1836, le dandy en déplacement notait : « Je suis à Saint-Sauveur depuis deux jours. […] Impression des lieux, nulle. – La patrie, ce sont les habitudes, et les miennes ne sont pas ici, n’y ont jamais été ». Ce masque de dédain vise sans doute à dissimuler certaines plaies encore vives : les élans du jeune Barbey avaient été comprimés par la sévérité de son père et la froideur d’une mère plus mondaine que maternelle. Avec le temps s’instaure néanmoins une nostalgie certaine de Saint-Sauveur-le-Vicomte – enfant, il a « mangé bien des pommes aigres dans les Douves [du] Donjon » du château, se remémore-t-il en 1855. Quelques années plus tard, il se rappelle le jardin jadis fleuri de la maison familiale rue Bottin-Desylles, où il a « commandé l’armée de [ses] trois frères à cheval sur un bâton, et plus fier et plus heureux que Roger sur l’hippogriffe ». Mais en 1868, la mort de son père entraînera la vente des biens familiaux à Saint-Sauveur : l’écrivain regrette alors amèrement sa « niche à souvenirs d’enfance, vendue et bouleversée ».

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans la Manche, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2006.

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