Fernand Gregh à Thomery

THOMERY

Fernand Gregh, un poète entre les vignes et la forêt
par Claude et François Crouzet
(extrait)

Une des plus jolies chansons de Charles Trenet s’appelle la Maison du poète.C’est la maison de Fernand Gregh qu’elle évoque. Merveilleusement poétique en effet : cachée au fond du hameau de Boulainvilliers à Passy, c’était l’ancien pavillon des Eaux et Forêts de l’Exposition universelle de 1879, cerné de hauts marronniers, enfoui sous les fleurs et les feuillages ; le lycée Molière, qui en a fait l’acquisition, l’a bien sottement démolie. Mais l’heureux poète avait à la campagne une autre maison tout aussi poétique et qu’il aimait aussi infiniment : à Thomery ou plus exactement à By – encore demeure familiale aujourd’hui.

Jeune homme à la mode dans les premières années du XXe siècle, Fernand Gregh auteur de nombreux vers autrefois salués et fêtés, oubliés aujourd’hui, est mort en Élu, après plusieurs échecs dont il était le premier à sourire, à l’Académie française. Il était devenu un vieux Parisien cultivé, courtois, ironique et indulgent.

Riche d’une foule de rencontres et souvenirs qu’il a retracés d’une plume vivace et pointue dans trois livres précieux, l’Âge d’or, l’Âge d’airain et l’Âge de fer1.

On y voit passer Degas et Forain, Anna de Noailles, Anatole France, Heredia, Sarah Bernhardt et Mallarmé. On y rencontre aussi Pierre Louÿs, son voisin au hameau de Boulainvilliers, Ravel qui joua là pour la première fois Oiseaux tristes, sur le demi-queue Pleyel où Reynaldo Hahn improvisait, et Rubinstein pour les délices de Fernand, fils d’éditeur de musique et qui hésita, adolescent, entre la vie de poète ou celle de musicien.

On vit un temps Apollinaire, rencontré en 1902 et qui fait rire Fernand, à peine plus vieux que lui, en lui donnant du « cher maître ». Il arrivait, « l’air un peu égaré, doux et mélancolique avec des fusées de rires, des poèmes plein les poches, toujours sur les mêmes petits bouts de papier ». Ces petits bouts de papier chiffonnés, à l’écriture changeante, signés Wilhem Kostrowitzky, nous en avons retrouvé par hasard, les yeux écarquillés : est-ce possible, la main du jeune Apollinaire ? Le cœur bat. Et il y en a d’autres, rescapés des grands vidimus, dans cette maison où l’on classait tout et ne rangeait rien, dans cette maison de rencontre où Jaurès et Blum ont dîné un soir ensemble, et, après la guerre, un autre soir, Mendès-France, Louis Joxe et Michel Debré !

À Condorcet, le futur poète s’était lié d’une amitié qui devait durer toute leur longue existence avec Daniel Halévy2et aussi avec leur condisciple le plus déroutant, le plus irritant, le plus séduisant, le plus fascinant, Marcel Proust. C’est Fernand qui a veillé Proust après sa mort, toute la nuit, seul, après avoir envoyé se reposer Reynaldo Hahn qui n’avait pas quitté le chevet de son ami depuis plusieurs jours et nuits.

Si les murs du Bois-Bliaud – c’était le nom de la maison de By – pouvaient parler, ils diraient encore bien d’autres visites, bien d’autres noms mêlant les arts, la politique, les journaux, les lettres. Sont passés ici Paul Landowski, Edgar et Lucie Faure, Gustave Lanson qui avait sa maison non loin, à Marlotte, Maurice Martin du Gard et André Labarthe, Gérard Bauer et Maurice Genevoix ; et encore Simone, MmeSimone, comédienne et romancière, le grand amour d’Alain-Fournier : c’était la meilleure amie d’Harlette Fernand-Gregh, la femme du poète, poète elle aussi et auteur d’un très brillant reportage, Vertige de New York. Toutes deux faisaient partie du jury du prix Fémina et, toutes deux plus nocturnes que diurnes, elles se téléphonaient souvent des heures entières quand tout le monde dormait, quitte à ne se lever qu’à midi le lendemain.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : La Seine-et-Marne des écrivains (c) Alexandrines, 2015

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