Racine à Uzès

Uzès

 

Racine à Uzès, espoir et déception,
par Jean Rohou

(extrait)

 

Le 21 décembre 1659, Jean Racine a 20 ans. Il vient de finir ses études et d’être enfin délivré de la surveillance de ses maîtres. Mais il faut préparer l’avenir. Son cousin, Nicolas Vitart, le fait entrer chez le duc de Luynes, dont il est l’intendant ; il lui confie des tâches assez simples, comme la surveillance de travaux. « Je commande à des maçons, à des vitriers et à des menuisiers. Je vais au cabaret deux ou trois fois par jour. Je lis des vers, je tâche d’en faire. » Mais ce jeune homme n’a aucune envie de moisir dans une carrière administrative. Il est travaillé de désirs impatients et d’une grande ambition : devenir un poète à la mode, et surtout un poète de théâtre, le genre le plus illustre et le plus rentable. Ses petites œuvres galantes plaisent à ses amis. En septembre 1660, son « Ode sur le mariage de Louis XIV » est appréciée par deux maîtres reconnus, Jean Chapelain et Charles Perrault. Mais les comédiens du Marais refusent une première pièce (septembre 1660) et ceux de l’Hôtel de Bourgogne une seconde (juin 1661). Or, courir les cabarets, s’habiller à la mode, publier une luxueuse édition de son ode, cela revient cher. De l’argent, il n’en a pas, et son grand-père maternel, assez fortuné, ne veut pas en donner à quelqu’un d’aussi peu sérieux. Le voilà couvert de dettes. « Il faut du solide, et un honnête homme ne doit faire le métier de poète que quand il a fait un bon fondement pour toute sa vie », lui répète un ami.

Il y avait à l’époque une solution pour gagner de l’argent sans rien faire : obtenir les revenus d’une charge qu’on n’exerçait pas. Devenu très célèbre, Racine obtiendra en 1674 celle de trésorier de France à Moulins, où il ne mettra jamais les pieds (2 400 francs par an et l’accès à la petite noblesse) et en 1690 celle de gentilhomme ordinaire de Sa Majesté (2 000 francs par an et un solide anoblissement). Pour le moment, il ne peut espérer qu’un petit prieuré, que pourrait lui obtenir un oncle maternel, Antoine Sconin, vicaire général de l’évêque d’Uzès. Seules conditions : recevoir les ordres mineurs (inférieurs à la prêtrise), rester célibataire, porter l’habit (en principe), être discrètement tonsuré et lire son bréviaire chaque jour. Nul besoin de résider : on peut mener vie mondaine à Paris, comme l’abbé Le Vasseur, l’un des intimes du poète.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans le Gard, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2008

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