Sainte-Beuve à Boulogne-sur-Mer

BOULOGNE, WIERRE-AU-BOIS

Sainte-Beuve, un “matou” à la plume acérée,
par Gérald Antoine
(extrait)

Point de Portrait sous la plume ou le pinceau de ce « critique-peintre » qui ne s’accompagne, pour commencer, souvent aussi pour finir, d’une esquisse de biographie. Physiologiste avant même d’être écrivain, rêvant d’ouvrir les voies à une « histoire naturelle des esprits », il attachait aux ascendants, au temps et au lieu de la naissance, aux débuts de la formation une importance décisive. Comment donc n’eût-il pas été tenté de vérifier sur lui-même l’efficacité de sa « méthode » ? – Ainsi fut fait, et de deux manières, l’une indirecte, sous le masque de la fiction : c’est le cas de la Vie de Joseph Delorme, ou des premiers chapitres de Volupté ; l’autre sans détour, comme dans Un mot sur moi-même [i] et surtout dans Ma biographie[ii]. Emboîtons-lui le pas : « Je suis né à Boulogne-sur-Mer le 23 décembre 1804… » Suivent des indications détaillées touchant son ascendance tant paternelle que maternelle, les circonstances de sa propre naissance, le cours de ses études à Boulogne. Puis vient soudain le premier départ, dès septembre 1818 (il a moins de quatorze ans), pour Paris qu’il ne quittera plus « sauf de rares absences ».

Autant dire que son séjour boulonnais fut relativement court : il occupe à peu près un sixième de son existence. Du moins en gardera-t-il une image heureuse et durable. Sans doute l’âge venant, porteur de charges et d’honneurs, ce souvenir paraîtra-t-il s’éloigner à mesure. Rien là qui doive surprendre ; mais il faut y regarder de plus près.

D’abord, aussi longtemps que sa mère habitera Boulogne (jusqu’en 1823), le jeune Charles-Augustin reviendra passer ses vacances à Boulogne et dans ses alentours, joignant à ses premières amitiés de précoces amours. Et puis… n’a-t-il pas fait du tableau en réalité parisien de sa plus grande passion une peinture tout entière boulonnaise, empreinte de quelle mystérieuse ferveur !

Ce n’est pas tout. À deux amis, nés eux aussi à Boulogne, qui s’affligeaient de son oubli de la terre natale, il répond par des lettres en forme de poignante confession : adieu le « Prince de la critique » ! Il n’y a plus qu’un cœur à vif qui ne guérit pas de son enfance.

Les deux aveux sont proférés à dix ans de distance. Dans le plus tardif – du 22 août 1841 à François Morand – l’analyse tempère l’émotion :

« J’en suis tout à fait [de Boulogne] par les impressions premières, par les racines secrètes, par le cœur ; ce qu’on tait n’est pas toujours ce qu’on sent le moins. Il est telle rue, dans le monde, par laquelle je ne passerai jamais et elle ne m’est pas la moins chère. »

L’autre aveu – du 19 août 1831 à Pierre Hédouin – , lié  à un passé proche encore, ne tait rien de ce que sent son auteur :

« … J’aime beaucoup Boulogne et les souvenirs que tout m’y retrace : c’est ce qui fait même que j’y vais si rarement, par une singulière susceptibilité d’organisation qui me fait craindre les lieux où je retrouverais ces traces trop vives et trop remuantes. Tant que je n’aurai pas ma vie intérieure tout à fait fixée, […] un arrêt dans le cours de mes désirs et de mes émotions, j’éviterai de me représenter dans la vue de ce beau et cher pays le spectacle d’un passé dont je suis déjà loin, sans avoir jamais eu mieux. »

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Pas-de-Calais, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mai 2006

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