Pierre Déom à Boult-aux-Bois

BOULT-AUX-BOIS

La Hulotte des Ardennes, par Pierre DÉOM
propos receuillis par Marie-Noëlle Craissati

Près de notre école, une hulotte chantait toutes les nuits. Son chant est solitaire, magnifique, mélancolique et très émouvant. Cet oiseau, protégé par la loi depuis 1905 pour son utilité dans la destruction des rongeurs, était encore, en 1970, tué par les chasseurs. Il est pour nous un symbole, il est devenu notre mascotte. La Hulotte était née.

J’ai grandi à Pouru-aux-Bois, petit village des Ardennes proche de la frontière belge. Paradoxalement, je ne me suis intéressé à la nature qu’après l’âge de 17 ans, à l’internat de l’École Normale de Charleville-Mézières. Un surveillant de l’école, Jean-Pierre Nénon, qui capturait les oiseaux et les baguait pour le compte du Muséum de Paris, m’a initié à son art. Cela a été ma première approche de la nature qui m’a dès lors passionné. Presque aussitôt après l’école et pour être plus près de Maurice Flavion, un vieil instituteur de Sedan qui me fascinait, j’ai obtenu d’être nommé à un petit poste dans le village de La Moncelle en lisière de la forêt. Cet homme était un grand connaisseur des abeilles, des arbres et de tous les animaux. À mes moments libres, je l’accompagnais dans les bois pour observer la Nature et la vie sauvage. Dès cette époque, j’ai été tourmenté par les problèmes de destruction et de pollution. C’est pourquoi, avec une dizaine de camarades, j’ai créé une association, la Société départementale de protection de la nature qui a mis en place pour les enfants les clubs Connaître et Protéger la Nature. Nous rédigions un bulletin de liaison pour échanger idées et découvertes. C’est l’idée originelle de La Hulotte des Ardennes, plus tard devenue La Hulotte:

Par l’intermédiaire d’une inspectrice d’académie, naturaliste de formation, que notre projet enthousiasma, notre bulletin atteint toutes les écoles du département dès le premier numéro. Nous étions alors en janvier 1972. En mai, la Hulotte comptait 800 abonnements. Je rédigeais les textes, en assurais la conception, la mise en forme des dialogues et les dessins du bulletin. Submergé de travail, j’ai choisi ce qui allait devenir mon destin, en prenant congé de l’école pour ce que je croyais devoir être une année sabbatique. Je n’y suis jamais retourné.

Dès lors, la nature a commencé à être prééminente dans ma vie. J’ai cherché à montrer toute sa richesse et sa complexité, à démonter sa simplicité apparente. Beaucoup d’humains ont tendance à considérer les animaux sauvages comme des êtres primaires, sortes de machines mues par des besoins élémentaires ; ainsi pour un sanglier : aller manger dans les champs de maïs, rentrer dans la forêt, dormir… Quand on a l’occasion de les observer finement et longuement, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Comme chez les hommes, il existe de grandes différences de comportement d’un individu à l’autre. C’est ce que j’ai constaté en suivant au télescope la vie quotidienne de deux couples de busards cendrés – merveilleux rapaces – qui nichaient à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, dans un champ de céréales. Le rôle du mâle de busard est de ravitailler sa femelle tout le temps où elle couve. Or, tandis que le premier busard, véritable stakhanoviste, s’acquittait scrupuleusement de sa tâche, multipliant les visites, apportant souris sur souris, le second, irrégulier, inconstant, traînait en route et ne montrait aucune ardeur au travail, espaçant de façon honteuse ses apparitions. Je le vis même un matin, comble de la goujaterie, revenir avec une souris, hésiter, se poser sur un piquet et avaler la moitié de la proie qu’il allait remettre à sa partenaire ! […]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade dans les Ardennes, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, 2004.

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