Marc Blancpain à Le Nouvion-en-Thiérache

LE NOUVION-EN THIERACHE

Souvenir de Marc Blancpain
Par Jean Rose
(extrait)

-Vous allez admirer le génie de notre Secrétaire Général !

C’est en ces termes insolites que je fus introduit pour la première fois auprès de Marc Blancpain, en son bureau haut perché de l’Alliance française. C’était au début des années soixante-dix. Le nom ne m’était certes pas inconnu. Je savais qu’il s’agissait d’un personnage qui comptait dans notre vie culturelle, respecté de tous, et parfois craint. J’en avais fréquenté l’œuvre quelque peu, assez pour en apprécier et aimer la densité, une langue à la fois souple et drue, agréable et solide, de l’aisance dans tous les registres, du pathétique de La femme d’Arnaud vient de mourir à l’humour robuste des Contes de la Lampe à graisse. Un style où se laissait deviner celui que j’allais rencontrer.

Il était tel à peu près que j’avais pu l’imaginer. Impressionnant, en tout cas. Grand, très grand, épaules puissantes, rudement charpenté, la démarche un peu lourde du terrien, le visage glabre, coloré, crâne exactement rasé, les lèvres gourmandes, profondément, intensément charnel. Corps de géant pétri de glaise, mais habité par l’esprit : un regard plus saisissant encore que l’apparence ; des yeux vifs, intimidants, les yeux de qui connaît les hommes et a tôt fait d’en savoir la valeur, de qui les aime aussi. Curieusement, il rayonnait de force, d’autorité, d’intelligence et de sympathie.

L’homme du Nord et l’homme du Sud s’accordèrent d’emblée. Sans doute le premier, à la parole posée, au débit lent s’amusait-il de la faconde du méridional. Pour moi, je m’étonnai d’un ton inhabituel chez qui commande. Rien de sec, nulle hauteur, mais de la simplicité, presque de la bonhomie, le ton de la conversation, tranquille, amical, fluide. Ce qu’il voulait que l’on fît, Marc Blancpain ne l’imposait pas, il se contentait de le suggérer. Il attendait qu’on le comprît à demi-mot, et c’est à sa capacité de le faire qu’il jaugeait son interlocuteur. Cependant, sans qu’il y parût, ses propos exprimaient la vigueur ; étrangement, celle-ci vous atteignait, vous investissait, vous envahissait comme par contagion. Je perçus alors, je comprendrais mieux plus tard, ce que mon introductrice avait voulu dire. Saisir en un moment les situations et les hommes, savoir ce qu’il faut dire à ces derniers pour que se révèle à eux-mêmes et s’accomplisse en actes ce qu’il y a de meilleur en eux, tel était le simple génie de Marc Blancpain.

[…]

Extrait de l’ouvrage : Balade dans l’Aisne, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2007

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