Bernardin de Saint-Pierre à Corbeil

CORBEIL

Un misanthrope à Essonnes : Bernardin de Saint-Pierre
par Paulette CAVAILLER
(extrait)

 

Quand, en 1749, sa marraine lui offre Robinson Crusoé, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre a douze ans et veut se faire capucin. Aussitôt à la recherche d’une île déserte, poussé par un caractère brusque et instable, il s’embarque pour la Martinique sur le vaisseau d’un de ses oncles. Il y séjourne quelques mois et en rentre déçu.

En 1767, il fait partie cette fois d’une expédition pour Madagascar où il espère fonder une ; « république idéale » mais, apprenant qu’on va y chercher des esclaves, il se fait débarquer à l’île de France (ancien nom de l’île Maurice), où il trouve un emploi d’ingénieur ; il y passe son temps à collectionner animaux et végétaux et à rédiger des descriptions de paysages.

Il rentre à Paris en juin 1771 et fait une rencontre essentielle, celle de Jean-Jacques Rousseau. L’amitié des deux misanthropes sera orageuse mais durera jusqu’au départ de Rousseau pour Ermenonville en 1778.

Son premier livre tiré de ses notes, Voyage à l’isle de France, paraît au début de 1773 ; il a du succès surtout auprès des femmes), et lui ouvre les salons. En 1784 paraissent les premiers volumes de Étude de la nature qui reçoit un accueil enthousiaste de toute l’Europe. Le tome IV, comprenant Paul et Virginie, sort en 1787. Cette idylle, dont l’île de France1 forme le cadre, contient en germe toute la littérature exotique. « Le charme de cette idylle, note Chateaubriand, consiste en une certaine morale mélancolique qui brille dans l’ouvrage. » Paul et Virginie obtient un succès inouï et lui vaut une pension sur le Trésor, et plus tard, l’intendance du cabinet d’Histoire naturelle, mais aussi plusieurs demandes en mariage.

La fille de son imprimeur, Félicité Didot, âgée de dix-neuf ans, l’admire depuis l’enfance, et réussit à séduire ce célibataire de cinquante-cinq ans. Plus que sa beauté, sa grâce, sa vivacité, c’est peut-être son extrême jeunesse qu’il apprécie car il peut jouer au mentor et poser ses conditions : il les lui énumère dans la lettre datée de 1792 que nous publions ici (avec quatre autres lettres adressées à sa première femme) : vie à la campagne dans l’île de Vaux à Essonnes où son beau-père lui fera construire la maison dont il rêve, et mariage secret.

Félicité, très fière de son grand homme, refuse ce dernier et étrange souhait mais obtient de ses parents la clause essentielle : c’est l’architecte Moreau qui travaille, dès l’automne 1792, à un projet assez modeste (sans aucun rapport avec le tableau d’Hubert Robert où l’on a cru reconnaître à tort une ambitieuse ébauche de cette maison). Quand Jacques-Henri et Félicité se marient un an après, le 27 octobre 1793 à Essonnes, la « chaumière » n’est pas achevée ; en mars 1794, la salle à manger est carrelée et les croisées posées mais c’est seulement à la fin avril 1795 que Félicité emménage et qu’elle sème aussitôt, sur les conseils de son mari, « des capucines et des haricots d’Espagne, des grains de potiron et de concombre, des flageolets et des asperges ».

« Je voudrais bien que vous prissiez du goût pour la campagne en toute saison. Vous ne voyez pas les orages qui s’élèvent sur notre horizon et qui rempliront longtemps la capitale de trouble ; s’il y a quelque repos à espérer ce n’est qu’aux champs. »… Bernardin de Saint-Pierre ne réussit pas à convaincre Félicité à vivre et à l’attendre à la campagne. « Nous vivons dans un temps malheureux. Je ne veux pas troubler votre raison par la perspective de l’avenir. Mais qu’est-ce qui vous manquera à la campagne pour y passer des jours agréables ? » Ce n’est sans doute pas le programme des festivités qu’il lui propose dans la troisième lettre qui va réussir à séduire cette toute jeune fille.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Essonne, sur les pas des écrivains, Alexandrines, 2010

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