Jean-Bernard Pouy à Granville

GRANVILLE

Granville revisitée par le Noir,
par Fabien Lefebvre
(extrait)

C’était dans une petite ville de province, à cent lieues des banlieues chaudes et des grands centres urbains noyés par le fog. Un type qui adorait la menuiserie a ouvert un tabac journaux avec un mur entier consacré au polar, La Vache Noire. Je ne sais pas ce qui lui a traversé le crâne, mais en tous cas, il l’a fait. En plus, il s’est installé dans un quartier complètement paumé, ravitaillé par les corbeaux et hanté par des grenouilles de bénitier ! Notre ami était sans doute un peu ravagé de la citrouille, ou bien, c’est peut-être que dans une situation aussi scabreuse, il n’avait pas grand chose à perdre.

Au moment où tout le monde s’excitait à propos de la défense du patrimoine maritime qui est en voie de disparition, pendant que tout le monde se lamentait en rabâchant les mêmes histoires de bisquines et de Terre-Neuvas, il nous a ramené des chariots entiers d’histoires glauques et plutôt urbaines, écrites par des mecs tordus qui n’acceptent pas de peindre le monde à travers des verres déformants. Des Français, les auteurs, par poignées, mais aussi des Amerloques, vous savez, le genre grain de sable dans la soupe à la grimace. On a su plus tard que le menuisier avait dû être perverti au lycée d’Ivry par un éducateur un peu spécial qui diffusait dans sa boite des films pas très nets et toute une littérature à moitié underground que le recteur d’académie ne bénissait pas – ce personnage devait lui même abandonner l’uniforme plus tard pour se jeter dans l’écriture sous le nom de Jean-Bernard Pouy. Alors, on s’est retrouvé à bouquiner des tas d’histoires lamentables et dramatiques de misère et de désespoir, avec des meurtres et des suicides par dessus, comme si on n’avait pas assez d’emmerdements dans notre petit coin de paradis perdu. Mais c’était souvent dans des grandes villes ou dans des banlieues innommables, ce qui fait que ça nous changeait vachement les idées, on se sentait moins seuls ! Y avait aussi des intrigues qui se déroulaient dans des ports pas tellement différents du nôtre, parce que les lascars qui se jettent dans cette littérature là sont friands de décors humides balayés par des vents de tous les diables, peuplés de chômeurs sans espoirs, et là, on pouvait recoller au peloton.

Un jour, notre camarade a décidé d’inviter des écrivains en chair et en os, afin que ceux ci dédicacent leurs ouvrages in-vitro ( je veux dire dans la Haute-Ville de Granville) et ils sont venus simplement, par le train, pour rencontrer les lecteurs et on a vu débouler cette année là, Pouy, Thiebaut et Dantec.

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