Gérard de Nerval à Mortefontaine

MORTEFONTAINE

Un amoureux du Valois : Gérard de Nerval
par Geneviève MAZEL
(extrait)

«J’aimais à respirer l’air des forêts profondes. Les ombrages d’Ermenonville, les solitudes de Mortefontaine n’avaient plus de secrets pour moi…» C’est la seule fois (dans Promenades et Souvenirs)que Gérard de Nerval écrira le nom de Mortefontaine et pourtant, ce village et le superbe cadre de forêts et de lacs qui l’entourent sont souvent présents dans son œuvre, spécialement dans «Sylvie», et dans Promenades et Souvenirs. En 1810, à l’âge de deux ans et demi, le petit Gérard Labrunie, orphelin de mère, avait été confié à son grand-oncle maternel, Antoine Boucher, dont la famille vivait depuis longtemps à Mortefontaine ; leur maison touchait le joli château du village. La petite enfance du futur Gérard de Nerval se déroule là et il en gardera un souvenir ineffaçable. C’est plus tard qu’il adoptera le nom de Nerval, en souvenir d’un terrain, le clos Nerval, très proche de Mortefontaine et possédé depuis longtemps par sa famille. Le château, bâti au XVIIesiècle, et les domaines qui l’entourent appartiennent, depuis 1799, à Joseph Bonaparte qui en a fait une propriété princière, très admirée, et fréquentée par tous les personnages importants de cette époque. Son impérial frère vient souvent pour y chasser et, en 1811, il a même envisagé de l’acquérir, ainsi qu’Ermenonville, pour y construire son palais…

Pour le village, c’est une période fastueuse. Joseph et sa femme, la reine Julie, animent au château une véritable petite cour. L’Empereur et sa famille aiment Mortefontaine et ils y viennent souvent, parfois pour de longs séjours. Bien souvent le roi Joseph ou ses célèbres invités traversent le village dans des berlines aux couleurs éclatantes, tirées par de superbes chevaux et cela ne passe pas inaperçu ! Lorsque Napoléon vient, il est toujours accompagné de son fidèle mamelouk portant fièrement son uniforme : turban, jaquette rouge aux manches bleues, pantalon blanc court et éventail jaune…

Les fêtes sont nombreuses, on joue la comédie dans un ravissant théâtre dont le fond de la scène ouvre directement sur la nature. En compagnie de l’oncle Antoine, qui savait tant de choses, le jeune Gérard fait de longues promenades, découvrant les beaux paysages formés par les bois et les étangs ! Il se peut que, lors de l’une de ces promenades, le petit Gérard ait rencontré la reine Julie.

L’oncle Antoine a dû faire une révérence et la reine a admiré l’enfant blond, qu’elle a baisé au front : Mon front rouge encor du baiser de la Reine. Pendant l’Empire, Mortefontaine n’est pas un village tout à fait comme les autres…

C’est peut-être en se rappelant cette période heureuse de sa vie que le poète écrira :

Qu’ils étaient doux ces jours de mon enfance
Où toujours gai, sans souci, sans chagrin
Je coulais ma douce existence
Sans songer au lendemain
Que me servait que tant de connaissances
Amon esprit vinssent donner l’essor,
On n’a pas besoin des sciences,
Lorsque l’on vit dans l’âge d’or.

En 1814, Gérard retourne chez son père à Paris. Sa vie change, ses rapports avec ce père qu’il connaît peu sont difficiles et l’absence de sa mère devient de plus en plus douloureuse. Il ne possède rien d’elle, ni portrait, ni lettres, ni souvenirs ; tout a été perdu par son père lors de la défaite de Russie, alors qu’il était médecin et suivait l’Empereur. Jusqu’en 1820, date de la mort de l’oncle Antoine, il revient très souvent à Mortefontaine. Là, les choses ont bien changé ! En 1815, Joseph Bonaparte est parti en exil aux États-Unis. Le château et le parc sont déserts, l’herbe folle a envahi les allées et l’ensemble est devenu silencieux, mystérieux et, peut-être, encore plus merveilleux ! Il est bien facile au jeune Gérard de s’y promener, il connaît bien Bouchard, l’intendant du domaine du roi Joseph, dont la demeure jouxte celle de l’oncle Antoine. Quel plaisir de vagabonder dans le petit parc, les statues disparaissent peu à peu sous la végétation, mais le charme demeure. En 1854, dans Aurélia, Gérard raconte que dans un de ses rêves il se vit dans un «petit parc» :

On y apercevait à peine la trace d’anciennes allées qui l’avaient jadis coupé en croix. La culture était négligée depuis de longues années et des plants épars de clématites, de houblon, de  chèvrefeuille, de jasmin, de lierre, d’aristoloches, étendaient entre les arbres d’une croissance vigoureuse, leurs longues traînées de lianes. Des branches pendaient jusqu’à terre chargées de fruits et parmi les touffes d’herbes parasites s’épanouissaient quelques fleurs de jardin revenues à l’état sauvage.

[…]

 

Extrait de l’ouvrage :Balade en Oise, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 1998.

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