Roger Martin du Gard à Clermont

CLERMONT

Un prix Nobel à Clermont : Roger Martin du Gard
par André DASPRE
(extrait)

Le 5 mai 1920, quittant Clermont qu’il vient de retrouver, Roger Martin du Gard écrit dans son Journal 1 : «Je suis à la fois bouleversé en profondeur, au point de n’avoir éprouvé cela nulle part ni jamais (…) et, à la fois, baigné d’une joie bienfaisante, d’un bien-être infini, que je sens durable. Vertu de Clermont, pour moi. Je sens que j’ai trouvé là le remède spécifique, le terrain convenable et unique, le seul lieu du monde qui me rend entièrement à moi-même. Tôt ou tard, j’y reviendrai.»

Roger Martin du Gard est né à Neuilly-sur-Seine en 1881. Son père, Paul, était avoué et sa mère, Madeleine Wimy, fille d’un agent de change de Beauvais, lui-même fils de notaire ; des deux côtés son ascendance comptait une majorité de gens de robe. La particule n’est pas un signe de noblesse, mais le nom d’un domaine qu’un lointain aïeul a ajouté à son patronyme pour se distinguer des autres Martin.

Pendant toute son enfance, Roger passe ses vacances à Clermont, dans la maison des Wimy, construite au XVIe siècle pour le médecin de Catherine de Médicis, Fernel, dont la rue porte le nom. Il vit alors dans la douceur d’un univers féminin : auprès de la grand-mère aveugle, deux bonnes entretiennent la maison où, à la tombée du jour, trois tantes viennent passer des soirées paisibles «sous la lampe à huile parmi les meubles d’acajou». L’après-midi, il part avec deux servantes et le chien pour des «excursions interminables hors la ville», mais il se rappelle surtout «l’entente qui unissait véritablement ces êtres sincères, simples et droits (…), la dignité, la réserve, la noblesse foncière de cette petite société saine» et, dit-il, «je m’incline devant cette aisance dans le bien, devant cet équilibre moral, un instant atteint et qui me semble révolu». On comprend qu’il dise de Clermont : «C’est là que tous les souvenirs de ma petite enfance sont merveilleusement rassemblés dans une brume d’or.»

Ces souvenirs sont si vivants qu’ils réapparaissent, à peine transposés, dans ses romans. Dans Jean Barois 1, la maison du héros est situé à Buis-la-Dame (dans l’Oise) exactement comme celle de Wimy à Clermont, à côté de l’église, et le paysage qu’il décrit est celui qu’il voyait au cours de ces longues promenades dont il a conservé «un souvenir radieux» :

«La grand route ; sur l’un des accotements, des poteaux télégraphiques à perte de vue divisent en mesure les portées des fils. Un soleil splendide et jeune baigne les prés, les chaumes, les labours assombris par la pluie. Coupés de rails d’argent, des pâturages dévalent jusqu’à l’Oise dont les rives sont encore inondées : l’eau, abritée du vent, reflète un ciel immobile, d’un gris fin ; les saules immergés jusqu’au menton lèvent leurs grosses têtes noires, ébouriffées.»

On retrouve un paysage analogue dans Le Pénitencier 2, quand Antoine va voir son frère Jacques incarcéré dans un pénitencier pour enfants à Crouy, que Roger Martin du Gard situe au bord de l’Oise, au sud de Compiègne :

«Pour la première fois de l’année, après des semaines pluvieuses, le printemps semblait s’offrir dans  le frais parfum de cette matinée de mars. Antoine regardait avec ravissement de chaque côté du chemin, les champs hersés, déjà verdissants, et sous le ciel clair de l’horizon où s’étiraient de légères vapeurs, les coteaux de l’Oise étincelant de lumière.»

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Oise, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 1998.

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