MAISONS-LAFFITTE Cocteau

MAISONS-LAFFITTE

L’enfance d’un poète : Jean Cocteau à Maisons-Laffitte
par Serge LINARES
(extrait)

 

 

« J’ai volé ses papiers à un certain J. C. né à M.-L.le…, mort à dix-huit ans après une brillante carrière poétique. » C’est par ces mots que Jean Cocteau dresse dans le recueil Opéra (1927) l’acte de décès de son identité sociale, et fait, du même coup, sa déclaration de renaissance littéraire : depuis son accès à la majorité artistique — au vrai à vingt-quatre ans, avec Le Potomak (commencé en 1913 et publié en 1919) —, il se serait muni de faux papiers sous prétexte qu’un authentique poète, occupé d’invisible et non de mondanité, dispose tout au plus d’un état civil d’emprunt. Dès lors, on s’attendrait à ce que Maisons-Laffitte, dont il était natif, ne laissât d’autres traces dans l’esprit de Cocteau que les stigmates d’un passé bourgeois renié depuis la révélation de sa vocation. Tel ne fut pas le cas.

Ce passé pouvait néanmoins apparaître bien lourd à qui considérait avec dévotion la constellation des poètes maudits et prétendait, après quelques erreurs de jeunesse1, dont le tort fut paradoxalement d’être trop conventionnelles, rejoindre les rangs dispersés de l’avant-garde bohème. Naître le 5 juillet 1889 à Maisons- Laffitte, place Sully, dans la résidence d’été de la famille maternelle, n’est-ce pas en soi un symbole de classe ? Au surplus, nulle ombre ne semble ternir le tableau de la sainte famille bourgeoise : le grand-père Eugène Lecomte, propriétaire de la demeure, qu’il a luxueusement meublée et décorée, est agent de change à Paris, tout comme un de ses fils (Maurice), les deux autres (Raymond et André) préférant tôt ou tard la diplomatie ; sa fille Eugénie a épousé un avocat du Havre, devenu rentier, Georges Cocteau, dont elle a déjà eu une fille (Marthe) en 1877, et un fils (Paul) en 1881.

En vérité, sa découverte du sens profond de la poésie permit à Cocteau de garder la nostalgie de sa patrie : consistant surtout à « ressusciter l’enfance » (Le Potomak), elle provoqua chez le nouveau converti le rejet de sa jeunesse de « prince frivole », et le retour en force d’un passé plus lointain. Contrairement aux souvenirs d’adolescence, ce fut donc sans mauvaise conscience que Cocteau ne cessa, dans son oeuvre, de raviver les cendres des vacances estivales qu’il passait, depuis sa naissance, en famille, à Maisons-Laffitte. Ainsi dans le chapitre que nous reproduisons de La Difficulté d’être (1947), où, ne feignant plus d’être son propre prête-nom comme dans Opéra, il se reconnaît d’abord dans son identité civile, puis raconte la douloureuse visite qu’il rendit, sur le tard, au lieu de ses premiers émerveillements. S’il ne s’était agi de retrouver, à la faveur des réminiscences, le regard de poète en herbe que pose l’enfant sur la réalité, rien n’aurait pu justifier, aux yeux de Cocteau, le culte qu’il voua à ses plus jeunes années. En fait foi le dernier paragraphe de l’article de Portraits-souvenir (1935) consacré à la mémoire de Maisons-Laffitte : « Et voilà des minutes sans aucun autre intérêt que celui d’éclairer cet angle sous lequel l’enfance observe les grandes personnes par bribes, à quatre pattes, derrière des portes d’office et sur des escaliers, d’un oeil qui n’accepte que l’intensité poétique. »

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Yvelines, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2011.

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