Daniel Boulanger à Senlis

SENLIS

Sur le vif
avec Daniel BOULANGER
(extrait)

Ma mère m’a mis au séminaire dès l’âge de 10 ans. Je ne sais pas pourquoi, elle n’était pourtant pas très pratiquante. J’ai étudié le latin, le grec, l’allemand (elle avait raison, ça a tenu à pas grand-chose qu’on ne devienne tous allemands) et le piano.

Je lisais tout ce qui était interdit, par exemple, j’ai lu tout Anatole France. J’ai écrit des saynètes pour les fêtes

de fin d’année. Ma mère adorait les brocanteurs et les antiquaires.Tous les meubles qu’elle m’a donnés ont été détruits. Mon père était fromager à Compiègne. Emmanuel Bove (ça veut dire«cave» en picard) est le premier écrivain à qui j’ai serré la main, il venait séjourner chez

mon père, dans les années 30-40. En allant chez ma mère une des dernières fois que je l’ai vue, j’ai retrouvé deux pièces que j’avais écrites et qui avaient été jouées au Théâtre municipal de Compiègne. Ils l’ont démoli pour faire un parking…

Les copains aussi sont partis en fumée.  On a quitté Compiègne fin mai 40, on était les derniers, et les premiers à revenir.  Je revois mon père tenant son grand trousseau de clefs toutes neuves.  La maison, c’était un tas de cendres de 2 mètres de haut.

Je me suis fait arrêter à Rethondes le 11 novembre 40, j’avais 18 ans. Deux avions avaient été brûlés, il n’y avait pas encore de résistance à ce moment-là.  Qu’est-ce qu’ils me voulaient ? Je suis conduit à la Kommandantur. Hiver terrible. Cellule sans carreau. Interrogatoires. La ville était punie. J’étais passible de la peine de mort. J’ai connu pour la première fois le fait du prince. Mon père était né à Cambrai, il est allé voir l’archiprêtre, un  «pays», qui s’est rendu auprès du grand chef allemand, un Thurn und Taxis. Celui-ci organisait des chasses avant la guerre à Coye-la-Forêt où l’archiprêtre officiait à l’époque et bénissait  les meutes avant le départ des chasses… Le prince a réglé mon affaire. J’ai été libéré. Un an plus tard, ça ne se serait pas passé de la même façon.

Refusant le service du travail obligatoire en Allemagne, malade, j’ai obtenu un sursis auprès des majors allemands. Je n’ai jamais voulu me rendre en Allemagne.

C’est dans une ferme de l’Oise que j’ai appris à garder et soigner les moutons, ce qui m’a permis de partir comme criador gadoau Brésil, avec un visa définitif. Je connaissais Lady Ashbourne à Compiègne, elle habitait une grande maison dans laquelle a séjourné Saint-Simon (c’est de là qu’il a tiré toutes ses pages sur le camp de Compiègne). Elle avait fait mon portrait. C’était une vieille dame, mon grand-père lui fournissait des fromages. J’écrivais des poèmes, j’allais les lui dire.  Un jour je lui dis :

«Madame, j’ai un visa permanent pour le Brésil, je pars.»
«Allez voir mon parrain, le père Enrique Bloch, au monastère de Sao Bento à Rio.» Ce moine de 93 ans me fit boire le premier vrai café de ma vie. Depuis, j’ai passé trente ans à Senlis…

[…]

 

Extrait de l’ouvrage : Balade en Oise, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 1998.

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